Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Renoncer unilatéralement à l’arme nucléaire

Supplique au Pape François par Jean-Marie Muller

Publié par MAN, le 19 mai 2014.





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" À un monde de violence et d’injustice, au monde de la bombe atomique, on ne saurait déjà plus rien opposer que la révolte des consciences, du plus grand nombre de consciences possible. "
Georges Bernanos
18 mars 1946

En ce dimanche de Pâques
20 avril 2014

Cher François,

Je dois avouer que j’ai beaucoup hésité à vous écrire cette lettre. Pendant longtemps, j’ai été soumis à la tentation de me taire, en pensant que ma parole serait jugée à la fois prétentieuse et inopportune. Si je me décide aujourd’hui à m’adresser à vous c’est par obligation de conscience. Par cette obligation de conscience qui m’a conduit voilà bien des années à me forger la conviction que l’enjeu de la dissuasion nucléaire, fondée sur la préméditation d’un crime contre l’humanité, est le sens même de la civilisation. Si je prends le risque de vous écrire, c’est essentiellement pour vous exprimer cette conviction d’un vieil ami de la non-violence auquel il arrive parfois de désespérer.
Le 19 mars 2013, dans l’homélie de votre messe d’intronisation, vous êtes revenu à six reprises sur l’exigence de « respecter la création ». Or, la Grande Menace qui pèse sur la création n’est-elle pas celle de l’arme nucléaire ? Par cette Menace, déjà, c’est toute la création qui se trouve profanée. Surtout, vous avez demandé « à tous ceux qui occupent des rôles de responsabilité » et « à tous les hommes de bonne volonté » de ne pas « permettre que des signes de destruction et de mort accompagnent la marche de notre monde ». Or, la préméditation du meurtre nucléaire à laquelle consent la majorité silencieuse des citoyens des États nucléaires n’est-elle pas le principal signe de destruction et de mort qui accompagne la marche de notre monde ? Et, cela, jusqu’à menacer l’existence même de l’humanité.
L’arme nucléaire est sans conteste l’une des manifestations les plus graves du « mal » qui hante et tourmente et afflige l’humanité. L’enjeu de l’arme nucléaire n’est pas d’abord militaire ; il est moral, il est politique et, en premier lieu, il est spirituel. Il est existentiel. Il ne s’agit pas d’abord de savoir par quels moyens nous devons défendre notre société, mais de savoir quelle société nous voulons défendre. Il s’agit de savoir quelles valeurs donnent sens à notre existence et à l’aventure humaine, et pour la défense desquelles il convient que nous prenions des risques. La menace de l’arme nucléaire, qui implique par elle-même le consentement au meurtre de millions d’innocents, est le reniement de toutes les valeurs d’humanité qui fondent la civilisation. Par la préméditation du meurtre nucléaire, nous avons déjà nié les valeurs que nous prétendons défendre. Comment pourrions-nous, sans nier la dignité de l’humanité de l’homme, consentir au crime nucléaire ?
Le caractère criminel de l’emploi de l’arme nucléaire a été clairement dénoncé par la résolution de l’ONU du 24 novembre 1961. L’Assemblée Générale déclare : « Tout État qui emploie des armes nucléaires et thermonucléaires doit être considéré comme violant la Charte des Nations Unies, agissant au mépris des lois de l’Humanité et commettant un crime contre l’Humanité et la civilisation. » La condamnation est sans appel. Face à la possibilité du crime nucléaire, l’humanité est sommée de se réveiller de son inconscience et de résister à sa barbarie intérieure. Dès lors, ne sommes-nous pas mis au défi de défendre l’Humanité et la civilisation contre le crime nucléaire ?
Certes, la dissuasion n’est pas l’emploi de l’arme nucléaire, mais elle est l’emploi de la menace et celui-ci comporte directement la menace de l’emploi. Dès lors que l’emploi de l’arme nucléaire serait un crime contre l’Humanité, la menace de l’emploi est également criminelle. Et la possession de l’arme nucléaire, dont la seule justification est la menace de son emploi, n’est-elle pas elle-même déjà criminelle ?
Au-delà de l’im-moralité intrinsèque de l’acte nucléaire, il est également essentiel de souligner son in-faisabilité substantielle. À aucun moment, dans aucune crise internationale, la menace de l’emploi de l’arme nucléaire ne pourrait être crédible, car son emploi provoquerait la pire des catastrophes humaines qui serait totalement ingérable. Face à la préméditation du crime nucléaire qui fonde la dissuasion, les impératifs de l’éthique de responsabilité rejoignent très précisément ceux de l’éthique de conviction pour affirmer l’im-pensabilité de l’acte nucléaire. C’est cela qui est décisif : l’acte nucléaire ne peut pas être pensé. Et cela est définitif.
En définitive, l’arme nucléaire est une idole, celles et ceux qui lui rendent un culte sont des idolâtres. Et il est toujours difficile de briser les idoles. La croyance des hommes en l’arme nucléaire comme symbole de la puissance est l’un des plus formidables envoûtements auquel l’humanité ait jamais succombé. Il signifie l’aliénation de la conscience, la perversion de l’intelligence, l’asservissement de la raison, la perte de la liberté et s’apparente à un véritable ensorcellement.
Par son consentement au meurtre nucléaire, l’homme nie et renie la transcendance de son être spirituel. Par cet assentiment, il « perd son âme », comme on disait naguère. En refusant de rendre un culte idolâtre à l’arme nucléaire, l’homme redevient maître de son propre destin et il lui est alors possible de recouvrer sa part de transcendance.
Dans votre message pour la célébration de la journée mondiale de la paix du 1er janvier 2014, vous lancez cette exhortation : « Renoncez à la voie des armes et allez à la rencontre de l’autre par le dialogue, le pardon, et la réconciliation, pour reconstruire la justice, la confiance et l’espérance autour de vous ! » Puis vous ajoutez : « Cependant, tant qu’il y aura une si grande quantité d’armement en circulation, comme actuellement, on pourra toujours trouver de nouveaux prétextes pour engager les hostilités. Pour cette raison, je fais mien l’appel de mes prédécesseurs en faveur de la non prolifération des armes et du désarmement de la part de tous, en commençant par le désarmement nucléaire et chimique. » Mais peut-on vraiment espérer que, face aux dangers de la prolifération nucléaire, votre appel en faveur du désarmement soit entendu par tous ?
Il est vrai que vos prédécesseurs ont plaidé en faveur d’un désarmement nucléaire mondial multilatéral « de la part de tous », définissant ainsi la « doctrine officielle » de l’Église sur cette question. Dans son encyclique Pacem in terris, Jean XXIII souligne le danger de la prolifération des armes atomiques : « Que si une communauté politique est équipée d’armes atomiques, ce fait détermine les autres à se fournir de moyens similaires, d’une égale puissance de destruction. » (§ 110) Il affirme ensuite : « La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament qu’on arrête la course aux armements ; elles réclament la réduction parallèle et simultanée de l’armement existant dans les divers pays, l’interdiction des armes atomiques, et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces. » (§ 112) Mais le texte de Jean XXIII est resté lettre morte.
Le 16 septembre 2013, Mgr Dominique Mamberti, Secrétaire du Vatican pour les relations avec les États, est intervenu devant La 57e Conférence générale de l’Agence de l’énergie atomique (IAEA). Il cite longuement Pacem in Terris en rappelant que l’encyclique exige que les armes nucléaires soient interdites : « nuclear weapons must be banned ». Mgr Mamberti actualise les affirmations de Pacem in Terris en demandant aux « responsables des nations à mettre un terme à la production des armes nucléaires ». Il insiste en affirmant qu’il faut « relancer le processus de désarmement nucléaire, y compris un réel progrès dans le démantèlement des armes nucléaires. » Mais les responsables des nations ne semblent nullement prêts à l’écouter.
Le 26 septembre 2013, devant l’AG des Nations Unies, Dominique Mamberti, dénonce encore « la doctrine militaire de la dissuasion nucléaire soutenue par les États dotés de l’arme nucléaire » et il interpelle ces États afin qu’ils « brisent la chaîne de la dépendance à la dissuasion. » Ces paroles sont fortes, mais, là encore, seront-elles entendues ?
Cela fait des décennies que les États nucléaires se sont engagés, en signant le Traité de Non-Prolifération, à négocier de bonne foi un désarmement nucléaire complet (article VI du TNP), mais ils n’en ont rien fait et ils sont déterminés à ne rien en faire. Et comment pourraient-ils interdire aux pays non dotés de posséder l’arme nucléaire, alors qu’eux-mêmes s’enorgueillissent de la posséder ?
Dans la « Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et Spes), le Concile Vatican II déclare : « Pour que la réduction des armements commence à devenir une réalité, elle ne doit certes pas se faire d’une manière unilatérale, mais à la même cadence, en vertu d’accords, et être assortie de garanties véritables et efficaces. » (§ 82) Pareille assertion est inacceptable. Non seulement l’Église n’entrouvre pas la porte du désarmement unilatéral, mais elle prend soin de la fermer à double tour…
Dans son message du 1er janvier 2006, pour la célébration de la journée mondiale de la paix, Benoît XVI plaide en faveur du désarmement nucléaire : « Que dire des gouvernements qui comptent sur les armes nucléaires pour garantir la sécurité de leurs pays ? Avec d’innombrables personnes de bonne volonté, on peut affirmer que cette perspective, hormis le fait qu’elle est funeste, est tout à fait fallacieuse. » Ces deux mots employés par Benoît XVI à propos de la dissuasion nucléaire sont particulièrement signifiants : « funeste » évoque des idées de mort et de malheur, tandis que « fallacieux » évoque des idées de tromperie et d’illusion. Ces qualificatifs, auxquels jamais un évêque de Rome n’avait eu recours jusqu’à présent, délégitiment radicalement la dissuasion nucléaire.
Cependant l’évêque de Rome s’en tient à la « doctrine officielle » de l’Église et met en avant le principe de multilatéralité : « La vérité de la paix demande que tous – aussi bien les gouvernements qui, de manière déclarée ou occulte, possèdent des armes nucléaires depuis longtemps, que ceux qui entendent se les procurer - changent conjointement de cap par des choix clairs et fermes, s’orientant vers un désarmement nucléaire progressif et concerté. » Force est de constater que pour l’heure cet idéal est hors de portée. Dès lors, afin de rendre peut-être un jour possible l’élimination de toutes les armes nucléaires, il appartient aux Églises locales de demander à chaque gouvernement de changer de cap dès maintenant et de renoncer unilatéralement à l’arme nucléaire. S’il est vrai que la dissuasion nucléaire offre une perspective « funeste » et « tout à fait fallacieuse », alors la vérité de la paix demande à chaque État de renoncer à la dissuasion nucléaire sans attendre le jour très improbable où tous les États décideront d’y renoncer d’un commun accord. Il appartient donc aux Églises locales d’interpeller à la fois les citoyens et les dirigeants politiques en faisant valoir le caractère funeste et fallacieux, et donc inacceptable, de la dissuasion nucléaire. Il importe absolument de briser le carcan de la casuistique qui a entravé jusqu’à présent la pensée de l’Église sur la question du désarmement nucléaire en n’envisageant celui-ci que de manière multilatérale. L’exigence évangélique de désarmement ne se négocie pas.
Lorsque les porte parole des Églises locales des pays dotés de l’arme nucléaire s’expriment sur cette question, ils entendent s’en tenir à la « doctrine officielle » de l’Église qui préconise un désarmement mondial multilatéral, progressif et simultané. Une telle position est certes confortable. C’est l’exemple même d’une position « tiède » qui refuse de prendre parti. Elle est une position d’évitement. Une échappatoire. Un faux-fuyant. Car elle permet de feindre de ne pas dire non au désarmement nucléaire unilatéral tout en évitant de lui dire oui. Cette position n’est pas tenable.
Pour autant, les Eglises locales n’ont certainement pas la stricte obligation d’appliquer le doctrine officielle du Vatican pour se positionner face aux situations auxquelles ils doivent faire face dans la société qui est la leur. Il leur appartient de prendre leurs responsabilités en toute liberté en se prévalant de l’autonomie qui doit être la leur. Vous exprimez parfaitement cette perspective dans votre Exhortation Evangelii gaudiaum : « Je ne crois pas qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde. Il n’est pas opportun que le Pape remplace les Épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une “décentralisation” salutaire. » (§ 16) C’est ainsi que l’épiscopat français est certainement le mieux placé pour prendre l’initiative de demander le désarmement nucléaire unilatéral de la France. Ce faisant, il apporterait une contribution salutaire au renouvellement de la « doctrine officielle » de l’Église.
Ainsi, cette « doctrine officielle », depuis qu’elle est répétée tout au long des ans, a donné la preuve qu’elle est parfaitement stérile et inopérante. Le moment est venu de la remettre fondamentalement en cause. Ce changement de doctrine est aujourd’hui un impératif catégorique. Tant que l’Église s’en tiendra à demander le désarmement nucléaire multilatéral, elle sera paralysée pour agir en faveur de la paix dans le monde. Certes, qui ne serait pas en faveur du désarmement mondial ? Il reste que, pour l’heure, cette solution idéale est purement abstraite et rien ne permet de penser qu’elle puisse s’inscrire dans la réalité dans un avenir prévisible.
Il existe une logique implacable selon laquelle la rhétorique qui s’en tient à demander l’élimination mondiale des armes nucléaires accepte et autorise et cautionne de fait les armes nucléaires nationales. La rhétorique sur le désarmement multilatéral progressif et contrôlé est précisément celle qui est mise en avant par chaque État doté de l’arme nucléaire pour maintenir et moderniser son propre arsenal. Le processus du désarmement nucléaire « général, progressif, simultané et contrôlé », présenté comme la voie raisonnable pour garantir la paix, a totalement échoué au cours des dernières décennies. Les réductions quantitatives qui ont pu être réalisées ont été largement compensées par les perfectionnements qualitatifs.
Le désarmement nucléaire ne sera possible que si les citoyens des États dotés se mobilisent au sein des institutions et des organisations de la société civile pour imposer à leur gouvernement un désarmement unilatéral. C’est dans ce cadre – qui est celui de la laïcité – que les religions doivent faire entendre leur voix pour dénoncer le caractère inacceptable de l’arme nucléaire. Sur des questions qui relèvent de l’éthique universelle, les religions peuvent encore jouer un rôle décisif dans le débat démocratique. Au demeurant, point n’est besoin de croire au ciel pour être convaincu que la préparation du meurtre nucléaire est un outrage à la raison.
En se ralliant à la rhétorique multilatérale, l’Église ne fait que cautionner le désordre nucléaire établi qui menace, par la double prolifération verticale et horizontale, l’humanité jusque dans sa survie. Dès lors, l’Église ne devrait-elle pas prendre en compte l’impossibilité d’un désarmement mondial pour préconiser un désarmement multi-unilatéral ?
L’attitude du citoyen face à l’arme nucléaire engage entièrement sa responsabilité éthique vis-à-vis de l’autre homme. En consentant à la dissuasion nucléaire, les citoyens sont responsables des menaces qu’elle implique pour toute l’humanité aujourd’hui et demain. Ils sont personnellement et collectivement responsables. Pour vouloir désarmer, ils ne peuvent certainement pas attendre que les autres veuillent également désarmer, que tous les autres veuillent désarmer afin que tous désarment ensemble. Tout particulièrement pour ce qui concerne le désarmement nucléaire, le principe de « multilatéralité » est un principe fallacieux. Seul le principe de l’« unilatéralité » peut permettre d’avoir prise sur la réalité. L’essence même de l’obligation morale est d’être unilatérale. Rien de grand n’a jamais été réalisé dans ce monde qui n’ait été décidé de manière unilatérale.
Dans votre exhortation Evangelii Gaudium, vous affirmez : « L’Église proclame l’« Évangile de la paix » (Ep 6, 15) et est ouverte à la collaboration avec toutes les autorités nationales et internationales pour prendre soin de ce bien universel si grand. (…) Dans le dialogue avec l’État et avec la société, l’Église n’a pas de solutions pour toutes les questions particulières. Mais, avec les diverses forces sociales, elle accompagne les propositions qui peuvent répondre le mieux à la dignité de la personne humaine et au bien commun. Ce 
faisant, elle propose toujours avec clarté les valeurs fondamentales de l’existence humaine, pour transmettre les convictions qui ensuite peuvent se traduire en actions politiques. » (§ 239 et 241) Comment ne pas convenir que la menace du meurtre nucléaire, qui fonde et structure la dissuasion, est radicalement contraire à cet Évangile de la paix qui fut proclamé naguère sur une colline de Palestine ? Comment ne pas convenir que cette menace bafoue « les valeurs fondamentales de l’existence humaine » ?
Or, l’essence même de l’exigence évangélique est d’être unilatérale. La paix de l’Évangile ne se négocie pas, simplement parce qu’on ne négocie pas l’Évangile. Faut-il attendre un engagement de la part de tous, pour que les hommes s’engagent à tenter de prendre le risque de l’Évangile ? Vouloir attendre que tous soient prêts à la vivre de manière concertée et d’un commun accord, n’est-ce pas nier et renier l’exigence évangélique ? Quel sens peut avoir l’espérance de l’Évangile si elle est annoncée dans l’ombre de la menace criminelle de l’arme nucléaire ? Comment, dans ces ténèbres, annoncer « la Joie de l’Évangile » ?
La justification de l’arme nucléaire est une faute contre l’esprit. Le crime nucléaire est véritablement l’Abomination de la désolation au sens biblique de cette expression qui signifie la profanation d’un lieu sacré : le crime nucléaire est la profanation de maisons que les hommes ont construites sur la terre pour manger leur pain quotidien, partager leurs joies, apaiser leurs souffrances et abriter leurs espérances. Comment les hommes responsables pourraient-ils consentir à ce sacrilège ?
Les évêques ne sont-ils point les héritiers des Prophètes de notre Antiquité ? Ne leur appartient-il pas d’avoir l’audace d’Isaïe qui se scandalisait de voir le pays de Juda et de Jérusalem « rempli de chevaux et de chars sans nombre, rempli de faux dieux », mais qui annonçait le jour où des « peuples nombreux briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes » ? (Isaïe, 2) Aujourd’hui, comment les évêques pourraient-ils ne pas se scandaliser de voir de nombreux pays remplis de fusées et de missiles, remplis de faux dieux, et ne pas annoncer le jour où des peuples nombreux transformeront les dépenses nucléaires en investissements sociaux en faveur des plus démunis ? Quand tout est dit, l’arme nucléaire n’est pas une arme légitime de défense, mais une arme criminelle de terreur, de destruction, d’anéantissement et de dévastation. Elle n’appelle d’autre alternative que sa suppression. Comment alors ne pas penser que ceux qui se réclament de l’Évangile ont la stricte obligation d’affirmer de manière unilatérale que la dissuasion nucléaire, qui est fondée sur la préméditation d’un crime contre l’humanité, n’est ni moralement, ni politiquement, ni stratégiquement, ni économiquement acceptable ? Car l’essence même de l’exigence de la paix évangélique est d’être unilatérale. Dans un monde malade de désespérance, il deviendrait alors possible d’espérer briser l’idole nucléaire et de retrouver le chemin de la fraternité humaine au-delà des envies criminelles des États nucléaires.
C’est avec confiance que j’ose soumettre ces quelques réflexions à la bienveillance de votre attention.
Je vous prie de croire à mes sentiments respectueux et cordiaux.
Jean-Marie Muller
Philosophe et écrivain